Béatification du père Moreau
Les préliminaires
À l’annonce du décès du père Moreau, plusieurs religieux et religieuses de Sainte-Croix qui l’ont côtoyé sont convaincus d’avoir été en présence d’un saint. Néanmoins, il faudra attendre près de 50 ans afin que les premières démarches sérieuses pour sa béatification commencent. Au chapitre général de la congrégation de Sainte-Croix de 1920, le père Philéas Vanier est mandaté pour retrouver et réunir tous les écrits du père Moreau, tâche d’une importance capitale qu’il accomplira avec zèle tout le long de sa vie. Rome exige en effet un examen rigoureux de chaque écrit d’un candidat à la sainteté. Puis, au chapitre général de 1926, le décret suivant est énoncé : « Le Procureur général sera autorisé, si l’occasion se présente, à prendre part active à l’introduction des Causes des TT.RR. PP. Moreau et Dujarié ». C’est la première fois que l’on parle publiquement et formellement de la volonté d’introduire une cause pour le père Moreau.
Le 19 octobre 1945, alors que les cendres de la guerre commençaient à peine à retomber, le père Albert Cousineau, c.s.c., supérieur général, obtient une audience avec le pape Pie XII. Ils discutent du père Moreau. Le Saint-Père encourage le père Cousineau à introduire la cause du père Moreau aussitôt que possible. En février 1946, le père Cousineau soumet le projet au conseil général de sa congrégation et la proposition est acceptée à l’unanimité.
Le 26 juin 1946, les supérieures des trois branches des sœurs de Sainte-Croix décident de s’associer au père Cousineau afin de demander à Mgr Grente, évêque du Mans, l’introduction de la cause du père Moreau. Alors qu’il s’était auparavant montré plutôt réticent aux procédures, Mgr Grente écrit en juillet à Rome afin d’avoir la permission d’introduire la cause : le père Cousineau se charge lui-même de porter la lettre.
Une béatification… sur la mauvaise voie
Le 27 mai 1947, Mgr Grente promulgue le décret qui constitue le tribunal diocésain au Mans et ordonne la recherche de tous les écrits du père Moreau. C’est le début officiel de la cause du père Basile-Antoine-Marie Moreau qui obtient ainsi le titre de Serviteur de Dieu. À l’époque, il existait deux voies pour soumettre une béatification, la voie contemporaine et la voie historique. La voie contemporaine exige l’existence de témoins oculaires qui ont connu le père Moreau de son vivant ; la voie historique exige une étude historique complexe du personnage. Mgr René Fontenelle, nommé postulateur de la cause par le supérieur général, a de l’expérience dans la voie contemporaine et n’est pas familier avec la voie historique, qui était encore à l’époque une procédure récente. Bien que le père Moreau soit mort depuis plus de 70 ans et que les rares témoins encore en vie ne l’avaient connu que brièvement pendant leur enfance, Mgr Fontenelle décide quand même de procéder sur la voie contemporaine.
Le premier mai 1948, le tribunal commence à entendre les témoins. Sur 21 personnes, seules deux dames très âgées avaient déjà vu le père Moreau. Le témoin le plus important est toutefois le père Philéas Vanier, grâce à ses recherches archivistiques et historiques. Des cas de guérisons attribuées au père Moreau sont aussi étudiés.
Sous le généralat du successeur du père Cousineau, le père Christopher O’Toole, c.s.c., la cause de béatification du père Moreau a bien avancé. Le 15 mars 1955, la cause est officiellement introduite à Rome. Le 12 mai, la Congrégation des Rites émet le décret de l’introduction de la cause. Le procès apostolique diocésain peut ainsi commencer au Mans. Il s’ouvre le 20 juillet 1955 et la journée suivante, on procède à l’exhumation des restes du père Moreau pour analyse scientifique, étape obligatoire dans toutes les causes. Le 9 mars 1957, le procès prend fin. En 1961, le Positio super virtutibus (Position sur les vertus) est remis au Promoteur général de la foi pour analyse.
Ce n’est que le 29 décembre 1973, cent ans après la mort du père Moreau que la Congrégation des Causes des Saints prend une décision : le procès des vertus est déclaré irrecevable, car il n’aurait pas dû être fait selon la voie contemporaine à cause du nombre d’années qui s’étaient écoulées entre le décès du père Moreau et l’ouverture de sa cause. Toutefois, rien n’est perdu, car il leur est demandé de reprendre le procès selon la voie historique.
Une béatification sur la voie historique
À partir de 1974, le père Jacques Grisé, c.s.c., aidé ensuite par le frère Gérard Dionne, c.s.c, s'attelle à la préparation de la Positio (Position) historique sous la direction des Rapporteurs généraux successifs. Parmi ceux-ci, le père Agostino Maore, o.f.m., de 1975 à 1982, demande un travail très détaillé et complet, de sorte que la Positio comprenait 14 chapitres avec introduction et 884 documents, pour un total de 4 256 pages. Yvon Beaudoin, o.m.i., rapporteur à partir de 1984, demande un travail plus réduit, et une nouvelle Positio est alors produite et présentée en 1994.
Le 6 décembre 1994, les consulteurs historiques l’approuvent par un vote à 89 %. On procède ensuite aux travaux d’analyse afin de déterminer si le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus à un degré héroïque. Le 31 janvier 2003, les consulteurs théologiques donnent une réponse positive unanime.
Le 12 avril 2003, le père Basile-Antoine-Marie Moreau est déclaré vénérable par Jean-Paul II.
Reconnaissance d’un miracle
La première des trois étapes vers la sainteté est franchie. La seconde consiste à faire reconnaître un miracle attribué au père Moreau et pour laquelle Mgr Fontenelle avait déjà entrepris un travail important qui était recevable.
En juin 1948, une Canadienne du nom de Laurette Comtois commence à manifester des symptômes d’une forte grippe après avoir donné prématurément naissance à un bébé mort-né. On lui diagnostique une pleurésie au poumon gauche. Malgré les soins prodigués, son état se dégrade au point que l’on prévoit de l’opérer. Entre-temps, des religieuses et des novices de Sainte-Croix ainsi que la patiente, son père et d’autres personnes demandent l’assistance divine par l’intercession du père Moreau. Une relique du père Moreau est collée sur son dos. À la veille de son opération, madame Comtois recouvre complètement la santé, au point que l’intervention est annulée. Elle fut ainsi déclarée guérie plus rapidement que la normale.
Le 24 juin 2003, la validité juridique du procès mené par l’Archidiocèse de Montréal est reconnue. Le 27 janvier 2005, les consultants médicaux reconnaissent que cette guérison fut rapide, complète, durable et inexplicable du point de vue scientifique. Le 28 avril 2006, le pape Benoît XVI promulgue un décret validant un miracle attribué à l’intercession du père Moreau.
Une cérémonie de béatification unique
Traditionnellement, les cérémonies de béatification se déroulent au Vatican. Toutefois, à partir de 2005, Rome autorise les diocèses à tenir ces cérémonies officielles. La congrégation de Sainte-Croix en profite afin que leur fondateur soit le premier à être béatifié hors de Rome, dans son diocèse, par un représentant du pape. Le 15 septembre 2007, le Centre Antarès, amphithéâtre servant habituellement à des activités culturelles et sportives, devient temporairement une chapelle. L’espace accueille 5 000 fidèles ainsi que deux cardinaux, 30 évêques et 150 prêtres qui concélèbrent l’eucharistie sous la présidence de Mgr Jacques Faivre, évêque du Mans. Une délégation de frères, de pères et de sœurs canadiens y participe. Ce 15 septembre 2007, le père Basile-Antoine-Marie Moreau est déclaré bienheureux par le cardinal José Saraiva Martins, au nom du pape Benoît XVI.
Célébrations à Montréal
Le 7 octobre 2007, le monument en l’honneur de Basile Moreau est inauguré à la croisée de la rue Decelles et de la rue Basile-Moreau à Saint-Laurent. Il a été réalisé selon un croquis conçu par Sœur Trinh Ta, c.s.c.
Quelques jours plus tard, le dimanche 21 octobre 2007, une messe d’action de grâce pour la béatification du père Moreau est tenue à l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal. Celle-ci a lieu sous la présidence de l’archevêque de Montréal, le cardinal Jean-Claude Turcotte, en présence de 3 000 fidèles. Pour l’occasion, un grand portrait du père fondateur orne le chœur de la basilique, qui arbore aussi les drapeaux des pays où la Famille Sainte-Croix est présente.
Le dimanche 4 novembre, un concert historique est présenté en l’église de Saint-Laurent. Il se veut « un hommage à ceux et celles qui ont su ouvrir l’intelligence et le cœur des jeunes à la beauté des arts » (L’Oratoire, janvier-février 2008, p. 15). Ainsi, de grandes œuvres sont au programme : l’Oratorio Messagers Évangéliques et La Fontaine de sœur Marie Cécilia, c.s.c. ; le Te Deum du frère Placide Vermandere, c.s.c., etc. Les interprètes comprennent le chœur du Conservatoire de McGill, le chœur des Petits-Chanteurs du Mont-Royal, des religieux de Sainte-Croix et l’Orchestre des Jeunes de Westmount sous la direction de Scott Gabriel. Le concert est aussi un hommage au 150e anniversaire de la visite du père Moreau à Saint-Laurent en 1857.
La promotion de la dévotion du père Moreau continue aujourd'hui. En effet, pour que le bienheureux Basile Moreau soit déclaré saint, un autre miracle obtenu par son intercession après septembre 2007 doit être reconnu par Rome.