Entrée au ciel et monuments funéraires du père Moreau
Décès
Pour le Nouvel An 1873, le père Moreau est invité à faire une allocution pastorale au bourg d’Ivré-L’Évêque. Malheureusement, au cours de la nuit, il subit un malaise. Il insiste toutefois pour accomplir sa tâche, mais ne peut prononcer que quelques paroles à l’assistance avant d’être reconduit au Mans à la fin de la célébration. Lui qui s’était fait un devoir de vivre une vie de sacrifices et de privations, doit se résigner à accepter un lit confortable dans une chambre spacieuse et chauffée. Le 17 janvier, il reçoit le saint Viatique, la dernière communion que l’on donne aux mourants. En soirée, les Marianites se réunissent dans sa chambre, s’agenouillent devant son lit et reçoivent sa bénédiction. Le 18 janvier, encore conscient, il reçoit l’extrême-onction et la bénédiction apostolique avec l’indulgence plénière. Le 19, son départ commence. Le 20 janvier 1873, à midi et demi, il rend son dernier soupir.
La nouvelle de sa mort se propage comme une traînée de poudre. Pendant trois jours, des membres de toutes les couches de la société et de tous âges se rendent de partout à la chapelle ardente prier à genoux devant la dépouille et lui faire toucher des objets de piété.
Ses funérailles ont lieu le 22 janvier et sa dépouille est déposée dans la chapelle du cimetière de la congrégation de Sainte-Croix au Mans. Le lendemain, une pierre tombale est mise en place afin de protéger ses restes. C’est son neveu, le père Charles Moreau qui se charge de rédiger l’épitaphe.
Un repos éternel pas si reposant
Lentement, le souvenir du père fondateur commence à tomber dans l’oubli, sauf auprès de ses fidèles Marianites. En 1893, le père Gilbert Français devient le nouveau supérieur général de la congrégation de Sainte-Croix. Sous son généralat, l’aura du père Moreau recommence à briller.
Au début des années 1920, la congrégation de Sainte-Croix décide de célébrer le cinquantième anniversaire du décès du père Moreau. Le 12 janvier 1924, ses restes sont exhumés afin de les mettre dans un nouveau cercueil en chêne doublé de plomb pour mieux les protéger. Il y avait toutefois un problème : la pierre tombale, en ardoise sombre, protégeant les restes n’était plus en bon état et se mariait assez mal avec le marbre blanc de la chapelle, récemment restaurée. Avant l’exhumation, on procède à la commande d’une nouvelle pierre, en marbre blanc, afin de remplacer la première. On en profite pour réparer une erreur historique. La quatrième ligne de l’épitaphe est ainsi modifiée afin d’ajouter les Salvatoristes (pères de Sainte-Croix) et les Joséphites (frères de Sainte-Croix). Une mention concernant l’exhumation est aussi ajoutée au bas de la pierre tombale.
Les restes sont ensuite remis dans la chapelle en attendant de les mettre là où ils auraient dû être placés à l’origine, la crypte de l’Église Notre-Dame de Sainte-Croix. Malheureusement, celle-ci n’appartient plus à la congrégation depuis plus d’un demi-siècle.
En 1926, le père James Donahue devient le nouveau supérieur général de la congrégation de Sainte-Croix. Son généralat sera marqué par une volonté de réhabiliter le souvenir du père Moreau. Ainsi, l’église du père Moreau, qui avait été transformée par l’État français en une caserne militaire désaffectée presque en ruine, est rachetée le 10 août 1931. Aussitôt qu’il reçut les clés de l’église, le père Donahue s’y enferme, s’agenouille et récite son bréviaire en entier. Ensuite, afin de laver les erreurs du passé, au propre comme au figuré, celui-ci prend une brosse et lave le plancher à genoux. C’était la première étape vers la restauration de l’église. Le 9 novembre 1937, à l’occasion du centième anniversaire de la congrégation de Sainte-Croix, l’église Notre-Dame de Sainte-Croix est solennellement consacrée à nouveau par Mgr Grente, évêque du Mans.
L’année suivante, le mandat du père Donahue s’achève et le père Albert-François Cousineau est élu nouveau supérieur général. Ce dernier continue l’œuvre de son prédécesseur. Le 23 octobre 1938, l’église Notre-Dame de Sainte-Croix est élevée au rang d’église paroissiale et le père Eustache Gagnon, d’origine canadienne, en devient le premier curé. Le 9 novembre, les restes du père Moreau sont à nouveau exhumés, cette fois pour les déposer dans sa légitime demeure, la crypte de l’église Notre-Dame de Sainte-Croix.
En 1950, la pierre tombale en marbre blanc qui recouvre les restes du père Moreau est remplacée par un tombeau artistique réalisé par le sculpteur français Henri Charlier, ainsi décrit par le père Cousineau : « Dans le mur du fond, face à l’autel, on pratiquera un alvéole où logera une tombe recouverte de la statue gisante du père Moreau » (Lettres circulaires, 7 avril 1950).
Cependant, cela ne sera pas la dernière fois que le père Moreau sera dérangé dans son repos éternel. En 1955, dans le cadre du processus de béatification, ses restes sont une fois de plus exhumés pour être identifiés puis remis dans le tombeau.
Une pierre tombale voyageuse
L’ancienne pierre tombale en ardoise noire ayant été retirée en 1924, il restait à trouver un endroit où l’entreposer. Authentique relique, elle était trop précieuse pour ne pas être conservée. C’est ainsi, possiblement dans un esprit de prévoyance concernant une autre grande guerre en Europe, qu’elle est envoyée au Canada entre 1924 et 1939. Un grand mystère subsiste quant aux conditions dans lesquelles elle fut transportée au Canada.
En 1945, le père André Legault écrit dans son livre Le père Moreau, 1799-1873 : fondateur des religieux et des religieuses de Sainte-Croix : « Cette pierre tombale […] a été rapportée de France en Amérique, comme une relique insigne ». Nous ignorons où elle se trouvait à cette époque, mais nous savons que vers la fin de 1960 ou le tout début de 1961, les autorités provinciales de la congrégation décident de la déplacer.
La pierre était alors fixée à un mur, près de la chapelle funéraire du cimetière de la congrégation, derrière l’église de la paroisse Saint-Laurent. Puisqu’elle tolérait de plus en plus mal le climat canadien, il est décidé de l’installer dans la grande chapelle du Collège de Saint-Laurent, près de la porte du jubé de l’orgue. Après la vente du collège en 1967, elle est transférée dans le sous-sol de l’église de Saint-Laurent.
En septembre 1980, la pierre tombale est transférée à l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal. Elle reste cachée dans l’une de ses réserves pendant près de deux décennies. En 1997, à l’occasion d’une exposition célébrant les 150 ans de l’arrivée au Canada des Sainte-Croix, la pierre est exposée au Musée de l’Oratoire Saint-Joseph. Suite à cet événement, la congrégation demande aux autorités de l’Oratoire de l’exposer au public « dans un endroit convenant à une telle pierre ». C’est ainsi qu’elle retrouve la lumière du jour dans une chapelle absidiale, à la droite du chœur de la basilique de l’Oratoire.
Après la béatification du père Moreau, en 2007, les autorités de l’Oratoire peuvent enfin transformer la chapelle absidiale en chapelle dédiée au père fondateur. Pour l’occasion, un buste du père Moreau est ajouté. Toutefois, la pierre reste encore cachée au public par un mur et, pour des raisons de sécurité, la chapelle est fermée par une grille, ne laissant visible que le buste.
Ce n’est que dans le cadre de l’exposition du 150e anniversaire du décès du père Moreau, le 20 janvier 2023, que les grilles sont enfin ouvertes et que les fidèles peuvent prier à l’intérieur de la chapelle et admirer cette précieuse relique. De plus, une statue en pierre blanche du bienheureux provenant des Sœurs de Sainte-Croix trône au centre de cette chapelle.
Merveilleuse ironie de l’histoire, lui qui avait rêvé d’un sanctuaire dédié à saint Joseph, sa pierre tombale repose désormais dans le plus grand sanctuaire dédié au père adoptif du Sauveur, bâti par le plus humble de ses fils spirituels qui l’a précédé dans la sainteté, le saint frère André.