Lettre de l'abbé Saint-Germain au père Moreau

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Titre

Lettre de l'abbé Saint-Germain au père Moreau

Description

Lettre de l'abbé Jean-Baptiste Saint-Germain, curé de Saint-Laurent (Montréal, Canada), au père Basile Moreau datant de décembre 1846. Le curé Saint-Germain y répond à des questions du père Moreau.

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Transcription :

« M.R.P. [Mon Révérend Père]

Quel bonheur vous m’avez procuré par votre lettre du 8 novembre dernier. Je n’y ai pas répondu immédiatement parce qu’elle ne m’est arrivée qu’au moment où la malle allait repartir; Il fallait bien d’ailleurs prendre un peu de temps pour réfléchir et vous répondre des choses exactes et sur lesquelles vous puissiez compter, car quelque désir que j’éprouve d’obtenir les saints ouvriers que vous m’annoncez, j’aimerais mieux voir manquer tout à fait un établissement si désirable que de m’exposer au reproche d’avoir promis plus que je ne voulais ou ne pouvais tenir. Ce dont je puis vous assurer en tout honneur et toute conscience c’est que je suis persuadé que cet établissement sera si utile et qu’il est tellement désiré par tout le  monde, qu’une fois [ ] ce ne seront point les ressources qui lui manqueront, ni de la part de la part [sic] de l’Évêque, ni de la part du Clergé,  ni de la part du peuple. Je regrette singulièrement que le P. Sorin ne soit pas venu faire un tour ici comme il me l’avait promis. Il aurait vu les choses par lui-même et vous en aurait rendu compte. Un seul coup d’œil vous sonne mieux que des milliers de paroles. Déjà au moins dix paroisses m’ont demandé des frères comme si j’en avais à ma disposition et plut à Dieu qu’il y en eut assez pour répondre aux vœux empressés de ceux qui les désirent. En général nos fabriques ont des moyens et sont en état de soutenir deux ou trois frères, la loi d’éducation actuellement en vigueur, ajoute beaucoup à nos ressources. Permettez-moi de vous observer en passant qu’il serait très à propos de régler que jamais les frères ne demeureront chez les curés. Je m’en suis entretenu avec le P. Sorin et j’espère qu’il vous en aura parlé. Cependant, en cas qu’il n’en ait rien dit, je prends la liberté de vous faire cette suggestion qui me parait très importante.

Après ce préambule qui ne laisse pas que d’être un peu long, je vais tâcher de répondre de mon mieux à vos trois questions. 1º La première regarde le prêtre que vous avez la bonté de promettre. Vous me demandez s’il sera mon vicaire avec assurance de me succéder à mon décès. Cette proposition me parait trop flatteuse et je ne portais pas mes prétentions jusque-là, je n’aurais jamais désiré qu’il fut mon vicaire, mais qu’il eut la charité de m’aider et de partager avec moi le soin des âmes. Si la chose dépendait de moi,  je tâcherais de ne point attendre à la mort pour me faire remplacer par de si bons ouvriers. Le plutôt serait le meilleur. J’en ai parlé plusieurs fois à mes paroissiens et j’en ai dit quelques mots à l’évêque de qui seul tout cela dépend. Vous aurez je suppose occasion de revoir le Prélat, traitez avec lui de cette affaire ce sera le mieux, mais peut-être aussi serait-il est plus expédient que votre établissement ici fut déjà commencé pour entamer ce chapitre. Vous me demandez si mon intention est de prendre des mesures pour assurer ces fondations à la Maison-Mère avec des ressources suffisantes?  Mon intention bien formelle et bien précise est de prendre les mesures convenables pour assurer à l’établissement projeté les fonds dont j’ai parlé au P. Sorin et dont je vous dirais quelques mots tout à l’heure. Nous sommes ici à peu près comme aux États-Unis. Il faudrait s’adresser à la législature et demander une loi  pour reconnaitre la communauté comme corporation et l’autoriser à acquérir et à posséder; ce que je ne manquerai pas de faire aussitôt que possible après l’arrivée des bons Frères. Le P. Sorin vous a mis au courant, je suppose de ce que j’ai l’intention de faire d’abord. Il y a une maison en pierre dans le village, avec un assez grand terrain pour une cour et un bon jardin. Cette propriété a été achetée par la paroisse il y a deux ou trois ans dans l’intention d’y loger des frères. Cette maison a besoin de réparations, mais nous avons préféré attendre leur arrivée afin de faire les choses de la manière qui leur conviendra le mieux et de ne pas nous exposer à des frais inutiles. Attenant à cette propriété, j’en ai acquis une autre le printemps dernier sur laquelle se trouve une maison qui leur servira d’école. En face de ces deux terrains, et séparé par la voie publique, je possède un lopin d’environ 34 arpents, propre à faire des jardins, des vergers, etc., que je me propose de donner aux frères, en me réservant l’usufruit de quelques arpents sur ce terrain qui est contigu à celui du presbytère; j’espère qu’on bâtira d’ici à 3 ou 4 ans, une maison convenable pour une communauté, car j’ai l’espoir bien fondé que vos bons frères trouveront ici facilement à se recruter et pourront bientôt avoir un noviciat nombreux et florissant. Il faudra donc songer à un bon maître des novices et quelqu’un qui entendrait un peu l’architecture serait aussi par la suite très utile. J’ai l’espoir raisonnable de pouvoir augmenter le dernier terrain dont je vous ai parlé plus haut, afin qu’on puisse y établir par la suite, si on le juge à propos, une ferme modèle et des écoles d’arts et métiers. Et remarquez que nous sommes ici au voisinage d’une belle et grande ville qui s’augmente rapidement et où l’on peut facilement tirer parti du produit des jardins et  vergers. Nous n’en sommes éloignés que de deux lieues et nous avons des chemins magnifiques. Je possède en outre, à la paroisse voisine, une ferme en culture et un autre terrain sur lequel il y a du bois de chauffage dont je me propose de transférer sa propriété aux frères aussitôt qu’ils pourront y établir quelque uns d’entre eux pour y tenir une école. Il y a sur cette ferme une charge en faveur d’une bonne personne qui est déjà au-dessus de soixante-quatre ans. On peut évaluer ces différents objets à la valeur de 30 à 40 000 francs sans compter l’ameublement de la maison et quelques autres avantages dont il est inutile de vous entretenir. 3º  Venons maintenant à votre 3e question : combien je désire de frères et de sœurs ? D’après ce que j’ai eu l’honneur de vous dire plus haut, vous pouvez songer que trois frères ou plutôt quatre pour ma paroisse ne serait que le quod justum, et pour commencer un noviciat. Quant aux sœurs, je ne m’attendais nullement à cette bonne offre, je n’y avais nullement songé. Cependant, je me donnerai bien de garde de refuser l’avantage que vous me proposez. Seulement, je vais référer cette affaire à Mgr afin qu’il s’entende avec vous et prenne des arrangements convenables. J’aime mieux pour de bonnes raisons qu’il arrange cette affaire des sœurs et qu’il décide où les placer, soit à St-Laurent soit à St-Martin. Ici nous sommes à terminer une maison assez grande pour les loger, et à St-Martin où j’ai les propriétés dont je vous ai parlé ci-dessus et qui n’est qu’à deux petites lieues d’ici, il y a aussi une belle et assez grande maison d’école pour les filles où l’on pourrait placer facilement une communauté de sœurs. Trois sœurs ne seraient pas trop pour commencer. Je ne doute nullement qu’elles ne trouvent beaucoup de vocations, et je suppose qu’aussitôt qu’elles seront en nombre suffisant, elles pourront s’établir deux à deux dans les paroisses pour y donner l’instruction aux petites filles.

Maintenant, M.R.P., quand pourrais-je attendre cette précieuse colonie? Le plutôt sera le meilleur. Seulement je serais bien aise que vous eussiez la bonté de m’en dire un mot par le prochain courrier afin que je puisse savoir par quelle voie je devrai les attendre et me tenir en mesure pour les recevoir : aller au-devant d’eux, si je le puis, ou au moins prier un de mes amis aux États-Unis de vouloir bien les acheminer pour le Canada aussitôt que possible. Si Mgr obtient de vous un plus grand nombre d’ouvriers, je trouverais encore facilement des ressources, j’espère, pour les loger et les nourrir; et puis, soyez bien persuadé qu’il en viendra toujours moins qu’on ne le désirera. J’espère aussi que Mgr aura pourvu aux fonds pour les frais de voyage.

Je crains de lasser votre patience : j’aurais voulu en dire moins et le dire mieux; je n’ajouterai plus qu’un mot pour vous assurer de la respectueuse reconnaissance avec laquelle j’ai l’honneur d’être

M.R.P.
Votre [?] »

Créateur

Abbé Jean-Baptiste Saint-Germain (1788-1863)

Source

Service d'archives de la Province canadienne de la congrégation de Sainte-Croix, A1,1.1/016

Date

Décembre 1846

Relation

Langue

Français

Citer ce document

Abbé Jean-Baptiste Saint-Germain (1788-1863), “Lettre de l'abbé Saint-Germain au père Moreau,” L'héritage du bienheureux Basile Moreau au Canada, consulté le 6 octobre 2024, https://heritagemoreaucanada.omeka.net/items/show/178.